vendredi 21 novembre 2008

Les pièges de l'obamania à la française

Barack Obama aurait-il pu être élu en France ? Depuis que l'ascension du sénateur de l'Illinois s'est terminée en apothéose électorale, la question agite la France monocolore. Pour de bonnes raisons d'abord, puisque l'irrésistible ascension, outre-Atlantique, d'un métis, fils d'immigré, souligne par contraste l'homogénéité stérilisante des milieux politiques français et l'urgence à leur donner les couleurs de la société. Mais la vague d'obamania qui a déferlé sur l'exécutif français masque d'abord l'extrême confusion du débat dans la République. Comme si le vacarme était orchestré pour faire oublier les turpitudes hexagonales, au prix de lourds contresens sur l'accession du "premier Noir à la Maison Blanche".

Lorsque Christine Lagarde assure que l'élection de M. Obama, "quelque part, ça s'est un peu produit" en France avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy, en présentant ce dernier comme "le représentant d'une minorité", la ministre de l'économie ne participe pas seulement à une grossière opération de récupération politique. Elle reflète le double mensonge auquel feignent de croire certains responsables politiques français : M. Obama a été élu parce qu'il est Noir ; la France est sur le bon chemin de la "diversité" dont M. Sarkozy est l'emblème. Ce qui a dû faire rire jaune les enfants d'ouvriers maliens notamment.

Carla Bruni-Sarkozy, dans sa fougue à soutenir - sans le signer - l'"appel pour l'égalité réelle des chances" du chef d'entreprise Yazid Sabeg, a renchéri en affirmant que "les Français ont voté pour un fils d'immigré hongrois, dont le père a un accent, dont la maman est d'origine juive (...)", revendiquant sa propre qualité d'"artiste, née italienne". Ces assertions, outre qu'elles recourent à la manipulation très peu républicaine de la notion de "minorité" et à l'étalage soudain d'une "origine", se réfèrent à une réalité américaine dépassée. Les Américains ont choisi le candidat le plus talentueux et le plus crédible en dépit, et non à cause, de la couleur de sa peau.

Le parallèle avec la France est fragile. La "question noire" aux Etats-Unis, pays où chaque citoyen a des origines étrangères, sauf les Indiens, prend racine dans une tragédie consubstantielle à la nation, l'esclavage. La France, elle, nation unitaire séculaire, peine à intégrer les fils et filles de ceux qu'elle a longtemps considérés dans ses colonies comme des indigènes. Sans compter que l'histoire familiale de M. Obama ne se réfère ni à la traite des Noirs ni au colonialisme, mais à l'immigration africaine moderne. Il apparaît d'ailleurs pour le moins paradoxal que la France rouvre le débat sur l'accès aux responsabilités des personnes issues de l'immigration au moment même où le nouveau président américain privilégie les facteurs sociaux sur les variables raciales dans son analyse des fractures de la société américaine.

Tout se passe en réalité comme si notre pays s'emparait rituellement de cette question sur des bases erronées, pour mieux conforter le statu quo. Car question il y a : qu'à qualification égale, un descendant de Maghrébin coure 2,5 fois plus de risques d'être chômeur qu'un enfant de Français ; que la couleur de la peau rende improbable la possibilité de trouver un logement ; et qu'un seul député de France métropolitaine ne soit pas Blanc, montrent à quel point la République a failli à tenir sa promesse d'"égalité".

DES RÉFORMES CONTRE LA "DIVERSITÉ"
Les émeutes récurrentes qui agitent les quartiers populaires, perpétuellement analysées, de la gauche à la droite, comme symboles de l'"échec de l'intégration" (sous-entendue raciale) alors qu'elles expriment d'abord la rage d'être socialement exclu, n'ont jamais débouché sur un plan cohérent et de longue haleine de promotion scolaire et professionnelle. Des ambitions plus coûteuses que l'invitation de quelques "bronzés" sur des plateaux de télévision ou la nomination au gouvernement de quelques "Arabes qui cachent la forêt", selon l'expression de l'écrivain Azouz Begag qui a siégé au gouvernement de Villepin. Sept ans après son lancement, la main tendue par Sciences Po Paris aux élèves des banlieues (54 diplômés) demeure la suprême référence.

A l'inverse, plusieurs réformes engagées pèsent contre la "diversité" prétendument célébrée : la diminution des exigences légales en matière de mixité sociale dans l'habitat, la suppression de la carte scolaire, le refus de généraliser par la loi à toutes les formations supérieures sélectives le quota de 10 % d'étudiants venant de tous les lycées du pays, outremer compris, et l'asphyxie de la rénovation urbaine. Au surplus, le climat de suspicion à l'égard des étrangers et en particulier des "couples mixtes" qui prévaut en France rendrait aléatoire le mariage des parents d'un futur Obama français.

Pour promouvoir autrement que symboliquement les descendants d'immigrés, M. Sarkozy a pourtant les mains libres. La gauche au pouvoir s'est caractérisée par une troublante pusillanimité, là où la droite a commencé à passer à l'acte. Mais le candidat Sarkozy, après avoir agité la perspective de "statistiques ethniques", a fait le silence depuis que ces projets ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Quant au comité présidé par Simone Veil chargé de réfléchir à l'introduction de la " diversité" dans le préambule de la Constitution, il vient d'être opportunément réactivé. Plutôt que de s'engager dans l'action concrète, la France continue de privilégier les vaines proclamations et les débats théologiques. A l'idée de "discrimination positive" plombée par sa formulation paradoxale elle-même pourrait pourtant se substituer des mesures volontaristes de portée générale dans des quartiers socialement ciblés.
Quant à la controverse sur les "statistiques ethniques", sans issue dans une France traumatisée par son histoire, elle pourrait être dépassée en lançant immédiatement les réformes et les enquêtes nécessaires à la connaissance et à la lutte contre les discriminations que permet la Constitution : introduction dans le recensement de la question du lieu de naissance des parents, et autorisation de questionnaires sur la couleur de la peau ou les origines, limitée à des études ciblées et anonymes.

L'obamania aurait alors secoué utilement la France. L'on s'apercevrait probablement qu'à l'heure où un métis accède au bureau Ovale et où les Verts allemands choisissent un fils de Turc pour leader, la "diversité" en France irrigue et enrichit déjà les ateliers, les commerces, les salles de professeurs et les prétoires. A peu près tous les milieux, à l'exception notable de la haute hiérarchie des partis politiques.

D'après l'article du monde

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