dimanche 28 décembre 2008

Arabes et Noirs en politique française Entretien avec Vincent Geisser et El Yamine Soum

« La diversité » annoncée a-t-elle gagné les conseils municipaux français ? La question nous préoccupait déjà au vu des résultats des législatives de juin 2007. Au lendemain des élections locales de mars 2008, nous avons voulu faire le point avec les sociologues Vincent Geisser et El Yamine Soum sur un sujet que l'on retrouve au coeur de leur nouvel ouvrage, Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques, paru aux éditions de l'Atelier.

Comment la « diversité » a-t-elle passé ces élections municipales ?

Vincent Geisser & El Yamine Soum : Sur la question de la diversité, les municipales ont eu une allure de test de rattrapage par rapport aux législatives. Chacun se souvient de l'échec qu'ont connu les candidats de la diversité durant les élections législatives de juin 2007. A part George Pau-Langevin, dans le 20e arrondissement de Paris, ce fut une grosse déception. Cependant on a pu constater que les appareils politiques ont évolué et qu'ils pouvaient désormais envisager la candidature de certains de leurs militants qui sont issus de l'immigration maghrébine, africaine ou des candidats issus des départements et territoires d'Outre-mer. Les espoirs déçus aux législatives se sont reportés sur les municipales malgré la différence du type de scrutin. Les partis politiques ont fait des promesses surtout dans les grandes villes comme Paris, Lyon, Strasbourg etc. Ces promesses ont été faites à gauche comme à droite. Malheureusement, loin d'être un "rattrapage républicain", les résultats des municipales 2008 sont plutôt contrastés du point de vue de la "diversité" : de nombreux candidats issus de l'immigration maghrébine, africaine et des DOM-TOM ont été élus mais généralement à des postes de conseillers et d'adjoints et rarement de maires. On perçoit ici les limites de la diversité en politique : les "Arabes" et les "Noirs" sont tolérés dans les instances de pouvoir mais le "véritable pouvoir" (maires, députés, présidents de conseils généraux, etc.) ne leur revient jamais. Dans notre ouvrage, Discriminer pour mieux régner (éd, l'Atelier, mai 2008), nous parlons d'ailleurs à ce propos de "diversité cosmétique", voire de "diversité homéopathique", c'est-à-dire d'une diversité injectée à très petite dose dans le système politique français pour ne pas remettre en cause les positions acquises par les notables.

Qu'est ce qui explique cette montée de la diversité en politique que vous constatez ?

Vincent Geisser & El Yamine Soum : L'engouement général pour la thématique de la « diversité » est à inscrire dans le cadre plus général du débat sur les discriminations. Car c'est bien de cela dont il s'agit. La « diversité » n'est en fait qu'une forme de « discrimination positive » qui ne dit pas son nom. Les responsables politiques français éprouvent une certaine "pudeur républicaine" à parler de "discrimination positive", alors ils préfèrent employer des formules voilées telles que "diversité" : c'est plus "doux" et plus "exotique" et ça choque moins les oreilles chastes. Depuis plusieurs années, l'on observe un véritable effort de lutte contre toutes les discriminations en France. On assiste à une prise de conscience d'une forme de discrimination qui se traduit par l'absence, ou le faible taux, de leaders politiques parmi les Français issus de l'immigration maghrébine ou noire africaine, alors que ces populations sont présentes dans les rangs des partis politiques depuis de longues années. D'où une volonté d'injecter une certaine dose de "diversité" dans la classe politique comme pour se déculpabiliser ou pour répondre à un impératif moral de lutte contre les discriminations. Parce que, si vous regardez de plus près, la classe politique française, aujourd'hui, est encore très masculine, très blanche et grisonnante, loin de refléter la diversité sociologique de l'électorat français.

A la fin de ces municipales de mars 2008, est-ce le statu quo ?

Vincent Geisser & El Yamine Soum : Ces municipales n'ont pas apporté de révolution à l'échelle nationale. Mais en même temps, il serait inexact de parler de statu quo. Ceci parce que, d'une part, la ligne a bougé. En 1989, nous avions recensé environ 150 conseillers municipaux issus de l'immigration maghrébine sur l'ensemble du territoire. Aujourd'hui, ce nombre est largement dépassé. Les conseillers municipaux de la "diversité" se comptent par milliers. Dans la seule ville de Paris, on peut dénombrer cinq adjoints au Maire issus de l'immigration maghrébine, africaine et des DOM-TOM. Et on pourrait multiplier les exemples pour d'autres grandes villes françaises. Mais, d'autre part, le système est tel que le vrai pouvoir local est détenu par le maire. Or, on observe que l'évolution du nombre de conseillers municipaux Noirs ou Arabes, n'est pas accompagnée par une évolution à la hausse des maires dits de la "diversité". Cela laisse, au final, un bilan assez mitigé. On a l'impression que plus l'on se rapproche des postes de pouvoir et de décision, plus la « diversité » s'étiole et finit par être écartée, tels des rayons de soleil dans un ciel blanc.

Justement, qu'est-ce qui empêche les Noirs ou les Arabes de briguer des mairies en France ?

Vincent Geisser & El Yamine Soum : A notre sens, il faut lire cela à la lumière du conservatisme de nos politiques. C'est moins du racisme que du placisme (la guerre pour conserver sa place : la lutte des places a chassé la lutte des classes). Nos femmes et surtout nos hommes politiques français sont très conservateurs : ils refusent de lâcher facilement leurs privilèges politiques et font tout pour se cramponner à leurs postes. Notre système politique fonctionne un peu comme une "monarchie républicaine", avec son roi (le président) et sa cour (les notables) et son opposition officielle (qui est, elle, aussi formée de notables). Les élites politiques françaises ne quittent pas facilement leurs postes, y compris pour d'autres candidats du même camp et du même profil. La bataille pour une "diversité démocratique", qui ne soit pas simplement "exotique" ou "cosmétique", suppose donc une réforme profonde des institutions (lutte contre le cumul des mandats, instauration d'une représentativité territoriale au profit des quartiers populaires, poursuite de la bataille de la parité…) et une véritable révolution des mentalités politiques : arrêter une fois pour toute de considérer les Français issus des migrations maghrébines, africaines et des DOM-TOM comme des "divers", des "marginaux" de la politique et les considérer comme des citoyens comme les autres. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la vraie diversité, c'est précisément de briser le "ghetto de la diversité" et de promouvoir une égalité effective de tous les citoyens, quelles que soient leurs origines régionales, culturelles et religieuses. C'est la conclusion de notre étude qui s'intitule "Discriminer pour mieux régner" mais qui aurait pu très bien s'appeler également "La diversité de diversion". Arrêtons d'employer des notions et des concepts "à la mode" qui permettent à certains de "se faire du beurre" sur le dos des "Arabes" et des "Noirs". On est en train de refaire les mêmes erreurs qu'avec l'intégration : on enferme les citoyens français dans des "cases ethniques", en laissant supposer que la France est composée de "légitimes" (les "bons Français") et d'illégitimes (les divers). La diversité est un concept de régression mentale, intellectuelle et politique qui sauve les apparences d'égalité sans résoudre les véritables problèmes de discriminations.

Source : Entretien Saphir News.

samedi 27 décembre 2008

Mahatma Gandhi

Homme politique et guide spirituel indien
1869 - 1948
Mohandas Karamchand Gandhi, issu de la caste des Vayshia, est né en Inde, à Porbandar dans l'Etat du Gujarat, dans une famille relativement aisée. Elevé dans les valeurs hindouistes, il apprend à connaître les autres religions et la tolérance envers elles. Suivant les coutumes de sa caste, il se marie à l'âge de 14 ans avec Kasturbai qui restera son épouse jusqu'à sa mort en 1942.


Attiré par le style de vie occidental, Gandhi part en 1888 à Londres pour faire ses études de droit. C'est là qu'il lit la Baghavad-Gita, le principal texte de l'hindouisme qui aura une grande influence sur lui. Après trois années en Angleterre, il revient en Inde et exerce sans beaucoup de succès le métier d'avocat


En 1893, Gandhi est employé comme conseiller juridique pour une société indienne en Afrique du Sud. Il y découvre comment les noirs ainsi que les indiens y sont privés de nombreux droits civiques et sont victimes de l'intolérance et du racisme. Il entreprend alors, pendant les vingt années qui suivent un combat de résistance non violente et de non-coopération face aux autorités d'Afrique du Sud. Influsencé par l'écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862), il développe en 1909 ses théories du combat par la non-violence et la désobéissance civile de masse, la satyagraha, dans un ouvrage intitulé "Hind Swaraj".


Ayant obtenu des avancées significatives en 1914 de la part du gouvernement sud-africain, Gandhi retourne en Inde, qu'il parcourt pour mieux la connaître. Considérant que, pour obtenir leur citoyenneté, les indiens doivent participer à la défense de celle-ci, il leur demande de s'engager dans l'armée pour soutenir les Britanniques dans la Première Guerre mondiale.


Après la Première Guerre mondiale, Gandhi, vite rejoint par des millions d'Indiens, s'oppose aux Britanniques en organisant la résistance civique et des campagnes de non-coopération (boycott des autorités, des tribunaux et des écoles). Devenu célèbre dans toute l'Inde, il est surnommé le "Mahatma" (la Grande Âme). Il lance également une campagne visant à obtenir l'indépendance économique face à l'appauvrissement de la population et la destruction de l'industrie locale, conséquence de la politique coloniale britannique. Mais sa campagne de désobéissance civile est un échec. Il est arrêté pour subversion en 1922 par le gouvernement britannique et libéré en 1924.


En 1930, bénéficiant d'une influence considérable, Gandhi entreprend une nouvelle campagne de désobéissance civile visant à la suppression des impôts, notamment sur le sel. Il est de nouveau emprisonné, puis libéré en 1931. Toujours par des moyens non-violents mais actifs (boycott, manifestations silencieuses, grèves de la faim…), il entreprend alors une lutte pour l'abolition du système de castes et l'égalité des droits pour les "intouchables". Après l'indépendance partielle de l'Inde en 1935, il combat pour l'unification des principautés indiennes locales. A la tête du Parti du Congrès, avec Nehru, il œuvre pour l'indépendance totale de l'Inde.


Pendant la Seconde Guerre mondiale, Gandhi, refusant de soutenir les Britanniques sans la contrepartie d'indépendance immédiate, lance un appel pour que ceux-ci quittent l'Inde : "Quit India". Il s'ensuit la plus radicale révolte pour l'indépendance et de terribles répressions. Gandhi est arrêté en 1942, puis libéré pour raison de santé.


En 1944, les Britanniques s'engagent à accorder l'indépendance aux Indiens s'ils mettent un terme aux querelles entre musulmans et membres du parti du Congrès. Gandhi s'oppose de toutes ses forces à la partition du pays mais doit se résoudre à la création de deux Etats, l'Inde et le Pakistan, en 1947, pour garantir la paix intérieure. Il ne peut empêcher le déchaînement de violence entre les musulmans et les hindous et meurt assassiné le 30 janvier 1948 par un fanatique hindou.


Les combats non violents de Gandhi pour la défense des droits de l'homme eurent une influence importante sur les mouvements de libération et de défense des droits civiques dans le monde entier, notamment pour les noirs en Amérique du Nord.

mardi 23 décembre 2008

Salma , musulmane émancipée en Grande-Bretagne

Comme sa famille, Salma se revendique comme britannique, occidentale aux origines asiatiques, de gauche et pratiquante
Le jour où, à 18 ans, Salma Yaqoob a décidé de revêtir le foulard, ses parents, d’honorables Pakistanais installés en Grande-Bretagne depuis les années 1960, se sont inquiétés. Sa mère devait-elle se sentir coupable de ne pas le porter ? Devaient-ils voir dans la décision de leur fille un changement radical envers la religion ? « Il a fallu que je les rassure, se souvient Salma . Je voulais qu’ils comprennent que pour moi, le hidjab est une affirmation, une façon de dire que mon corps m’appartient.
Mais le port du hidjab doit être libre, pas imposé comme en Iran ou en Arabie saoudite. »Les parents n’étaient pas au bout des surprises avec leur fille. « J’ai toujours été une enfant rebelle. À la maison, on parlait religion. Nous avions des coutumes que l’on assimilait à des pratiques religieuses, comme le fait que les hommes mangent avant les femmes. Mes cousines étaient mariées à l’âge de 16 ans, avec des hommes choisis par leurs parents. Cela me dérangeait. Je ne comprenais pas qu’il y ait deux poids deux mesures entre un homme et une femme.

À mes yeux, cela n’était pas juste. J’en voulais à la religion musulmane qui consacrait ces différences. Je pensais qu’elle donnait un chèque en blanc à tous ceux qui estimaient que les femmes étaient inférieures aux hommes. »Salma a soif de comprendre. Elle s’informe sur d’autres religions (judaïsme, hindouisme, bouddhisme, christianisme), s’intéresse à la théologie de la libération, au message de Martin Luther King. « J’ai rencontré des prêtres, j’ai beaucoup lu sur les camps de concentration, me demandant pourquoi Dieu n’était pas intervenu pour empêcher ça. Je m’interrogeais beaucoup sur ma foi. »
"Le Coran prône l’égalité entre hommes et femmes"
Vers 18 ans, la jeune Pakistanaise se plonge dans une traduction du Coran – celui-ci étant écrit en arabe, les musulmans non arabophones ne peuvent le comprendre. « J’ai compris que, contrairement à nos pratiques, le Coran prône l’égalité entre hommes et femmes. Je m’attendais à y lire des choses plus extrêmes. En fait, Dieu est miséricorde, il pardonne.

Dans le Coran, il est dit que l’on est comptable de ce que l’on fait. Tout cela était beaucoup plus en accord avec ce que je recherchais dans la religion. »Sa sœur et elle sont les deux premières femmes de la famille à avoir fait des études universitaires. « On s’est battues pour ça. J’ai dû convaincre mon père que le Prophète voulait qu’hommes et femmes soient éduqués. Et lui prouver que rien dans le Coran ne dit le contraire. » Diplômée en psychothérapie, Salma se marie à 24 ans avec un médecin d’origine pakistanaise comme elle.

Une nouvelle entorse à la tradition, qui veut que l’on se marie au sein de la famille élargie. Salma , tout comme sa famille, se revendique comme britannique, occidentale avec des origines asiatiques, de gauche et pratiquante : « une identité multiple ». « Nous avons fêté l’Aïd (NDLR : qui marque la fin du Ramadan), nous avons mangé de la nourriture pakistanaise, comme il se doit, mais aussi chinoise et italienne ! »

Militante anti-guerre
Salma et son mari ont trois garçons de 5, 10 et 12 ans. « Ils vont à l’école publique, parce qu’il y a davantage de mixité que dans le privé. » Avec son mari, leur langue commune est l’anglais, c’est aussi la langue de leurs enfants, qui ne parlent pas l’ourdou, la langue officielle du Pakistan. Comme toutes les mères du monde, elle est soucieuse quand elle pense à l’avenir de ses enfants. « Je redoute cette société dominée par la consommation, où seules comptent les apparences. » « Je voudrais que mes enfants retiennent l’importance de l’harmonie, de la tolérance, du respect pour la communauté. Je voudrais aussi qu’ils soient fiers d’être musulmans. Mais ils ne m’appartiennent pas, je ne peux pas être sûre que c’est la voie qu’ils suivront. »Cette militante anti-guerre s’est, avec l’accord de son mari, engagée en politique et a été élue en 2006 conseillère municipale à Birmingham. La campagne électorale était redoutable, provoquant des oppositions au sein de sa propre communauté, comme à l’extérieur. Son père et son mari ont reçu des menaces.

Mais aujourd’hui, Salma est la première et seule femme portant le hidjab au conseil municipal : « Une mini-révolution. » Une victoire ? « À condition, dit-elle, que l’on me considère comme la représentante de tous, et non des musulmans. »Tout irait pour le mieux si les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, puis ceux du 7 juillet 2005 à Londres – ceux-ci impliquaient des Pakistanais nés en Angleterre – n’avaient ébranlé la confiance entre la population musulmane et le reste de la société britannique. « Depuis, nous les musulmans, nous nous sentons sous forte pression. On a le sentiment d’être assiégés. Cette pression est encore accentuée par la guerre en Irak et en Afghanistan. Certains d’entre nous ont peur, d’autres sont en colère. Ces attentats étaient immoraux, anti-islamiques et politiquement irresponsables, puisqu’ils jetaient le discrédit sur toute une communauté. »
"Bâtir des ponts"

Salma a réagi en organisant une marche pour condamner les attentats. « Nous étions unis dans la peine. Parce que je crois en l’humanité, dans la solidarité, il fallait bâtir des ponts, parler haut et fort, sans quoi on allait penser que nous approuvions. Communiquer était indispensable. » Mais la confiance a été ébranlée. Cela a laissé des traces. « Il y a ce sentiment que les musulmans sont une menace culturelle, physique. Qu’ils sont l’ennemi. Il nous faut nous battre contre cette image répandue parmi une majorité de la population. Si nous critiquons le gouvernement, nous sommes vus comme des traîtres. La pression est plus forte pour que nous montrions notre loyauté. »

Et pourtant, la jeune femme continue à penser que le multiculturalisme existe en Grande-Bretagne, qu’« il y a toujours un espace de respiration ». « En tant que musulmane, je m’y sens plus à l’aise que dans d’autres pays qui sont musulmans. Ici, j’ai le droit de pratiquer ma religion, je peux voter, l’éducation est libre, il y a un système de santé, une justice, on s’occupe des gens vulnérables… En Arabie saoudite, il faudrait que je me batte pour mes droits. Ici, il y a un espace dans lequel nous nous sentons égaux. Mais il est menacé par les conflits extérieurs. » Alors, comme un nouveau défi, Salma se présentera aux prochaines élections législatives pour le Parlement britannique.
D'après le site La Croix.

lundi 22 décembre 2008

Interview : Patrick Chamoiseau

Vous avez publié avec Edouard Glissant, dans le quotidien français L’Humanité, une Lettre ouverte au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Pourquoi cette lettre ? Patrick CHAMOISEAU : Je pense qu’il était important que nous puissions utiliser la venue de monsieur Sarkozy, non pas pour nous intéresser à monsieur Sarkozy lui-même mais pour essayer de poser les problèmes qui de toute manière seront posés à une société comme la nôtre. Le monde actuel est d’une telle difficulté que nous aurons nous aussi à traiter cette question des mémoires différentes qui se retrouvent dans une même société, des races différentes qui se retrouvent dans une même société.

Aux Antilles nous devrons aussi traiter des problèmes d’immigration, nous devrons aussi traiter des problèmes sociaux et des problèmes de sécurité, et il me semble qu’il ne faut absolument pas envisager de les traiter comme les traite monsieur Sarkozy. Pour nous le problème n’était pas de répondre à monsieur Sarkozy ou de l’interpeller mais de profiter de l’électrochoc que sa venue allait provoquer pour poser des problèmes qui nous concernent directement.


Aimé Césaire a-t-il eu raison, selon vous, de refuser de rencontrer le ministre de l’Intérieur, et vous-même est ce que vous seriez prêt éventuellement à dialoguer avec lui ? Patrick CHAMOISEAU : Vous savez moi je suis un indépendantiste. Je ne m’intéresse pas trop à la politique intérieure française. En revanche je préfère regarder ce qui se passe dans cette société française et voir quelles réponses sont proposées aujourd’hui par les politiques contemporaines pour essayer de mieux réfléchir à celles que nous aurons à mettre en œuvre aux Antilles lorsque nous accéderons à des espaces de souveraineté. C’est ça la préoccupation que nous avons.


Parce que nous sommes encore assistés, nous sommes dépendants et collectivement irresponsables. Nous n’existons pas sur la chaîne du monde mais tôt au tard nous aurons à le faire. Tôt ou tard nous serons confrontés à des problèmes d’immigration, tôt ou tard nous serons confrontés à des problèmes sociaux, tôt ou tard nous serons confrontés à des présences multi-transculturelles et il faut tout de suite essayer de les penser.


Justement, quel regard portez-vous sur les émeutes qui ont enflammé les banlieues dans l’Hexagone ?


Patrick CHAMOISEAU : Comme tous les problèmes contemporains, ce sont des problèmes multidimensionnels. Bien sûr il y a une dimension économique et une dimension sociale, bien sûr il y a la création de zones qui sont presque des zones de non droit, mais ça ce sont les mauvaises réponses que l’on peut apporter. Je crois que l’une des pauvretés des politiques contemporaines c’est de toujours faire une réponse de type économique, ou alors une réponse de type purement social, ou alors une réponse sécuritaire par la police et la répression.


Je crois que ce sont des pauvretés parce qu’indépendamment de ces questions économiques, sociales et sécuritaires, il y a une question de fond. Dans ces endroits-là des mondes différents se frottent, des cultures différentes se sont emmêlées. Nous sommes dans des lieux de multi-transculturalité. Un petit jeune des banlieues c’est quelqu’un qui relève autant de l’Afrique que du Maghreb ou que de n’importe quel autre pays d’origine que la France. On ne peut pas dire que ce sont des étrangers. On ne peut pas dire que c’est un complot musulman, on ne peut pas dire que c’est un complot de Noirs ou un complot d’Arabes. C’est une nouvelle réalité de la citoyenneté française et de l’identité française qui relève de la multi-appartenance et qui est multi-transculturelle.


Quand on se trouve dans des situations de multi-transculturalité on a des difficultés énormes à donner un sens à son existence, à donner un sens à son identité et à donner un sens à sa participation à l’ensemble dans lequel on se trouve. Surtout si cet ensemble a encore des fonctionnements archaïques, basés sur je ne sais quelle pureté culturelle et identitaire, quel réflexe régressif qui viserait à préserver une essence qui aurait été ancestrale et qu’il faudrait absolument préserver de contamination. Quand ces deux logiques-là se rencontrent il y a un phénomène d’incompréhension majeur qui peut provoquer ce genre d’incendies.


Dans votre texte vous soulignez à la fois les échecs du modèle d’intégration à la française et ceux du modèle communautariste anglo-saxon. Quelles orientations pourriez-vous proposer ? Patrick CHAMOISEAU : Je crois que le problème n’est pas celui de l’intégration. Intégration renvoie à désintégration parce que lorsque je dis « je vais t’intégrer » cela veut dire que le modèle de référence, la matrice, c’est moi, et qu’à partir de là je vais te forcer à rentrer dans la matrice d’accueil. Je te désintègre et je te conforme à ce qui constitue ma propre logique. Mais les nouvelles immigrations ont envie de vivre leur opacité, leur différence et leur réalité. Nous ne sommes plus dans la perspective de dilution complète dans un pays d’accueil. Il faut donc que ces pays d’accueil comprennent que le problème n’est pas celui de l’intégration, mais celui de l’harmonisation des différences et des opacités dans les sociétés. C’est cette complexité que nous devons tenter d’élaborer.


L’autre élément c’est le communautarisme. Je dirais que lorsqu’on est en position d’exil, on a toujours cette espèce de condensation et de cristallisation autour des valeurs d’origine. C’est vrai qu’on a des tentatives communautaires. Mais le monde a explosé dans les communautés, le monde a explosé en chacun de nous. Chaque fois qu’il y a des tentatives communautaires, on a vu que les enfants ne suivent pas. A un moment donné ils sont des dizaines et des centaines qui échappent aux principes communautaires pour entrer dans le processus de multi-transculturalité. Donc nous n’avons absolument rien à craindre des réflexes communautaristes.


La seule manière de lutter contre les pulsions communautaristes qui sont liées au processus de l’immigration, c’est de comprendre que nous entrons, chaque fois qu’on a des cultures, des races, des religions et des visions du monde différentes, dans des processus de contaminations réciproques. Quand je dis que le monde a explosé en moi, ce n’est pas parce que j’ai la peau noire que le mot nègre ou que le mot africain suffira à me résumer. Mon imaginaire est habité par le monde amérindien, par la réalité des Amériques, par la présence de la solidarité que j’ai avec l’histoire de l’Afrique noire, par le monde indien qui me traverse, par le monde européen qui m’a dominé et qui continue de me dominer.


Toute cette complexité constitue la construction transculturelle de mon imaginaire. C’est comme ça qu’il faut aujourd’hui non seulement penser la société mais aussi les individus. C’est cela la grande difficulté, nous sommes des individus avec des imaginaires qui sont des imaginaires de diversité, qui sont multiples. Avec cette complexité-là, comment faire du lien, comment faire du social, comment vivre ensemble avec cette réalité qui ne correspond plus aux anciennes ? C’est cela la grande question contemporaine.


Ce que vous dites, c’est beau sur un plan théorique mais pour quelqu’un qui subit des discriminations en France, ça manque un peu de concret... Patrick CHAMOISEAU : Non, parce qu’il y a la question du sens qui est fondamental, quand quelqu’un vit des difficultés au quotidien dans une société comme la société française. Qu’est ce qui va se passer ? Il y a des réflexes régressifs, on va voir apparaître des fédérations, des associations noires ; on va se réfugier dans une origine, « nous sommes des Maghrébins ». On va se réfugier dans du négatif, « nous sommes des non Blancs », on va se rassembler. Ce sont peut être des choses qui sont nécessaires pour lutter au quotidien contre les discriminations mais ça ne va pas assez loin. Le seul moyen de lutter contre ces discriminations que nous vivons au quotidien c’est cet imaginaire de la diversité qui nous permettra de comprendre que désormais les sociétés sont multiculturelles et que les mémoires qui sont réactualisées dans un espace régional doivent tenir compte de toutes les mémoires, la mémoire du colonisateur comme celle du colonisé.


Si l’on essaye de construire une mémoire en dehors de cette mémoire-là, nous entrons dans des processus qui sont des processus d’affrontements, de ruptures et de brisures de liens. Alors, ça paraît très théorique mais c’est la question du sens fondamental qui est posée. Où nous vivons et sur quoi je base ma vision et mon appartenance à ce pays dans lequel je dois vivre ma différence.


Ce qu’on appelle communément les mesures de « discrimination positive » ou, comme on le dit plus exactement aux Etats-Unis, les mesures « d’action positive », ça n’a pas trop de sens finalement ? Patrick CHAMOISEAU : Non. Ce sont peut-être des processus qui peuvent permettre de régler les choses, mais si vous voyez les nominations... Je prends l’exemple de la télévision. Nous avons de plus en plus de personnes qui ont la peau noire ou qui ont un phénotype arabe ou autre. On a l’impression que ça suffit. D’abord, on s’aperçoit que ces personnes sont quasiment des standards médiatiques. On dirait presque des robots, qui se ressemblent tous, qui parlent de la même manière, qui répètent les mêmes choses et qui ont un imaginaire qui est le plus souvent parisien. On s’aperçoit que la diversité profonde, même la diversité intra-française, n’apparaît pas en terme de culture, en terme d’accent, en terme de positionnement et en terme de vision. On s’aperçoit que la vraie diversité n’est pas là. Pour ceux qui ont tendance à faire du cosmétique, l’apparence physique va suffire à exprimer la diversité. C’est peut-être bénéfique de voir quelqu’un qui a la même couleur de peau que soi, mais je crois qu’il faut aller plus loin.


La multiculturalité, c’est faire apparaître dans tous les lieux de l’expression artistique, tous les lieux de traitement de l’information, des points de vue différents, des nuances culturelles, des nuances identitaires, des positionnements et des expériences qui ne sont pas standard et qui ne sont pas uniformes. C’est à ce moment-là qu’on entre dans la vraie diversité. Il faut bien comprendre que les réalités des sociétés multi-transculturelles ont dépassé les anciens marqueurs identitaires. Vous pouvez avoir une personne qui a la peau noire mais qui a un imaginaire occidental. Regardez Condoleezza Rice ou Colin Powell, ce sont des yankees et le fait qu’ils soient noirs ne les empêche pas de massacrer les Palestiniens, de traiter l’Afrique n’importe comment et de ne pas se sentir tout à fait proche des autres Noirs qui sont en Louisiane ou ailleurs.


On s’aperçoit que la couleur de peau ou l’apparence physique ne suffit pas et que la vraie diversité, la vraie prise en compte de la complexité du monde, des différentes mémoires et des différentes présences qui sont maintenant forcées de vivre ensemble passent au-delà des marqueurs identitaires traditionnels. Ce n’est pas parce que j’écris en français que je fais de la littérature française. Ce n’est pas parce que j’ai la peau noire qu’on peut me mettre dans le même sac de tous ceux qui ont la peau noire dans le monde. Ce n’est pas parce que je suis antillais que mes frères en littérature seront antillais. Mes frères en littérature seront ceux qui ont la même vision du monde que moi, le même rapport à la diversité, le même rapport à cette complexité du monde.


La vraie diversité, les vraies discriminations positives doivent être des politiques qui veillent à ce qu’il n’y ait pas de zones sur lesquelles pèsent des fatalités économiques et des fatalités sociales, c’est essayer de débloquer les différents verrous qui existent dans les sociétés avec un imaginaire qui comprend que ces sociétés sont nécessairement multi-transculturelles. Ce sont des politiques globales et non pas des quotas de Noirs et d’Arabes dans tel ou tel coin. Cela c’est la mauvaise manière, ou, en tout cas, la manière la plus étroite de s’attaquer aux problèmes.


C’est cette diversité, cette complexité, qui définit ce que vous appelez la politique de la Relation ? Patrick CHAMOISEAU : Oui. Il faut comprendre que désormais le monde a explosé en nous. Le monde a explosé dans les sociétés, le monde est présent. La relation ça veut dire que désormais nous existons au monde. Le sens de ce que je suis, ma famille, mes appartenances, mes accointances ne sont pas déterminés par la langue que je parle, par la couleur de ma peau et par le Dieu que j’adore, mais sont déterminés par le rapport que nous entretenons avec la diversité du monde. Moi qui suis de peau noire, je n’ai absolument rien à voir avec Condoleezza Rice ou Colin Powell. Dans les anciens imaginaires identitaires, culturels, et dans l’ancien imaginaire des absolus cela pouvait marcher mais dans l’imaginaire de la relation, où nous sommes dans une fluidité totale, ça ne marche plus. Ce sont ces systèmes d’appartenance et ces systèmes de signifiance qu’il nous faut désormais essayer de mettre en place.


Dans votre tribune, vous parlez d’une « situation néocoloniale en Martinique ». Concrètement, par quelle voie sortir de cette situation ? Patrick CHAMOISEAU : Par un autre imaginaire. Le problème c’est que nous sommes encore dépendants, nous n’avons pas de responsabilités, nous ne décidons de rien concernant notre destin. Ce ne sont pas les petits phénomènes de décentralisation, des petits pouvoirs locaux qui vont changer quelque chose. Nous sommes globalement irresponsables. Sans compter tout le système de l’assistanat et de la dépendance qui ne génère que de l’assistanat et de la dépendance. Il n’y a aucune pensée, aucune volonté d’existence au monde. Nous sommes vraiment dans un syndrome qu’il faut briser. Le seul moyen de briser cela c’est par de la responsabilité.


Nous ne réclamons pas un statut d’indépendance pour un statut d’indépendance. Pour nous, il faut d’abord essayer de déterminer ce qu’est notre projet d’existence au monde. C’est le projet qui va déterminer le statut et ce n’est pas le statut qui va finalement remplacer le projet. C’est extrêmement difficile parce que le monde a changé et qu’il est entré dans un processus de multi-transculturalité phénoménal qui fait que les anciens systèmes d’appartenance, les anciennes définitions identitaires, les anciens rapports que nous pouvions avoir avec nous-mêmes et avec les autres sont complètement modifiés. Il nous faut avoir cette poétique-là. Cela paraît complètement théorique mais ça passe par là.


Nous ne pourrons définir un projet pour sortir de ces vieilles dominations qu’avec un autre imaginaire du monde. C’est pourquoi nous travaillons avec Edouard Glissant à modifier l’imaginaire commun pour faire en sorte de comprendre quel est le monde dans lequel nous vivrons, quel est le monde dans lequel nous devrons prendre des responsabilités. Quand je dis que le monde est multi-transculturel c’est qu’aucune société ne peut régler ses problèmes sans une présence du monde. Tous les problèmes sociaux, d’immigration, les problèmes culturels, les problèmes économiques se traitent à l’échelle du monde. Les problèmes écologiques ne peuvent se traiter qu’à cette échelle-là. C’est l’échelle du monde qui donne le champ de bataille.


C’est toute la différence que je fais entre le guerrier et le rebelle. Le rebelle reste dans les anciennes modalités du monde : nous sommes sous domination, nous devons entrer en rupture, hisser notre drapeau, pousser un hymne national et c’est bon. Alors que le guerrier va dire qu’aujourd’hui nous devons exister dans un monde interdépendant. Modifier l’imaginaire c’est vraiment le champ de bataille. C’est pourquoi je dis que je suis un guerrier de l’imaginaire parce que je sais que tant que nous n’aurons pas changé notre imaginaire, c’est-à-dire notre sens du bon, du juste, du vrai, du vouloir être et du vouloir faire, tant que nous n’aurons pas modifié fondamentalement cette façon de penser en fonction des réalités du monde, nous ne pourrons pas produire de projet libérateur.


L’éducation aussi construit l’imaginaire. Par rapport à cela, comment jugez-vous le refus du Parlement d’abroger l’article 4 de la Loi du 23 février 2005, qui souligne les aspects positifs de la colonisation et souhaite les mentionner dans les manuels scolaires et universitaires ? Patrick CHAMOISEAU : C’est lamentable, il n’y a que les régimes totalitaires qui ont essayé d’imposer la manière d’enseigner l’Histoire. La deuxième chose c’est qu’il n’y a absolument rien de positif dans la colonisation, même s’il y a des émergences collatérales sur lesquelles on peut discuter. C’est toute l’idée de la créolisation, où l’on s’aperçoit que du plus profond de la déshumanisation esclavagiste il s’est produit des émergences anthropologiques stupéfiantes qu’il nous faut essayer de comprendre.


Il n’y a pas de bienfaits dans la colonisation parce qu’il n’y a pas l’intention de bien faire au départ. Au départ on a l’intention de conquête, de domination et d’exploitation, même au prix d’une extermination. C’était ça le principe de la colonisation. Il n’y a pas de principe moral, pas de principe philosophique, il n’y a même pas de principe religieux. On ne s’est pas gêné d’exterminer quand les peuples ont refusé cette conquête. Tout ce qu’on a voulu faire c’est conquérir, exploiter, posséder, aller rendre le monde semblable à ce qu’on est. C’est tout ce qu’il y a dans la colonisation et c’est infiniment condamnable.


D'après le site RFO, interwiew le 9 décembre 2005.

dimanche 21 décembre 2008

Martin Luther King (1929 - 1968) Un pasteur contre la ségrégation

Martin Luther King (39 ans) est assassiné dans un motel de Memphis le 4 avril 1968 par un repris de justice.

La mort du pasteur noir soulève une immense émotion dans le monde entier... cependant que des émeutes secouent les ghettos des grandes villes américaines.

Un apôtre de la non-violence :

Pendant une douzaine d'années, Martin Luther King avait lutté contre la ségrégation raciale.

Il s'était fait connaître à Montgomery (Alabama) en organisant un boycott de la compagnie d'autobus de la ville, coupable de tolérer la ségrégation dans ses véhicules.

Son Mouvement des droits civiques avait fini par triompher en appliquant les principes de non-violence prônés par Gandhi.

Le 28 août 1963, à l'occasion d'une Marche sur Washington, Martin Luther King prononce son plus célèbre discours devant 250.000 sympathisants : «I have a dream...» («J'ai fait un rêve...»).

L'année suivante, le président Johnson signe la loi sur les droits civiques mettant fin à toute forme de discrimination, en présence de Martin Luther King.

Le 14 octobre 1964, le jeune pasteur reçoit le Prix Nobel de la paix. Mais son Mouvement est de plus en plus contesté et concurrencé par des groupes violents comme les Black Muslims (Musulmans noirs).

Aux Jeux Olympiques de Mexico, qui suivent de quelques semaines la mort de Martin Luther King, des champions noirs américains lèvent le poing sur le podium et tournent le dos à la bannière étoilée.

La même année, des professeurs admettent de développer la place des noirs et des minorités dans l'enseignement de l'Histoire. C'est le début du mouvement PC («politically correct»).

Les tensions raciales s'apaisent peu à peu. Aujourd'hui, l'intégration des noirs, qui représentent un dixième de la population étatsunienne, ne soulève plus guère d'opposition même si ce groupe souffre toujours d'un certain handicap économique et social.

jeudi 18 décembre 2008

Discriminations : d'abord sociales

JULES CLAUWAERT Alors qu'ils et elles contribuent largement à offrir à la France des succès flatteurs dans maintes compétitions sportives internationales, pourquoi nos compatriotes « issus de l'immigration » apparaissent-ils si peu dans des activités et des responsabilités où ils pourraient de même exercer leurs talents, au sein et au service de notre collectivité nationale ? La question en suscite évidemment bien d'autres, dans un pays qui se donnait naguère encore en modèle d'une intégration réussie de ses «minorités visibles».




Cet autre édulcorant de langage, en effet, n'évite pas de s'interroger sur un sujet tabou. Que deviennent nos valeurs républicaines, en particulier les chances égales pour tous les citoyens, si les minorités d'une France métissée, s'estimant insuffisamment comprises, se replient sur elles-mêmes, créant une mosaïque de communautés fracturées ?




Face à un phénomène de même nature, les Américains ont inventé la « discrimination positive », en sélectionnant et favorisant l'éclosion d'une élite dont le nouveau président Barack Obama paraît bien devoir être une brillante illustration. « Respecter la diversité » : tel était le souhait de Nicolas Sarkozy, lorsqu'il avait confié à Simone Veil le soin de présider une commission chargée d'inscrire ce principe dans le préambule de notre Constitution. Mais il apparut impossible de rédiger des critères ethniques ou autres sur les « origines » de chaque Américain. Et sans doute à plus forte raison en France. Il n'aurait pas manqué de bons esprits prompts à s'insurger contre les faveurs accordées à telle ou telle catégorie d'immigrés.Plus réalistes semblent finalement l'orientation proposée hier par le président Sarkozy, et les quelques exemples concrets d'application.




Il s'agit simplement de nous appuyer sur nos principes républicains et de tenir compte des réalités, telles qu'actuellement vécues, ici et maintenant. En ligne de mire, l'intégration de la diversité sociale, avant tout autre considération. Pour l'accession aux grandes écoles : celles des futurs cadres et managers de la Nation, dans la fonction publique, et dans le privé. Et en amont, l'excellence du cursus scolaire antérieur. Toutes les statistiques montrent que le handicap initial est sans doute le plus grave, dans les milieux populaires, pour les enfants d'immigrés. C'est bien de l'accès à l'information sur les voies à suivre, sur les choix possibles, et la solidité d'une culture de base que se joue déjà l'avenir des nouvelles générations. C'est assez dire que la réforme de l'Éducation nationale n'en est qu'à ses balbutiements. L'aborder en acceptant la démagogie des caricatures serait le plus mauvais service à rendre aux générations nouvelles. Et la discrimination, c'est à tous les niveaux qu'il convient de la combattre.




Un article du site Nord éclair

mercredi 17 décembre 2008

DEVOIR DE MEMOIRE

Le dimanche 21 décembre, c'est le 160 ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage sur l'île de La Réunion.

Une association organisera cette rencontre avec l'histoire et la culture de l'île de La Réunion à Saint Denis. Vous trouverez sur ce lien, les infos sur cet évenement :

http://www.devoir2memoires.blogspot.com/

Yazid Sabeg, l'atout "diversité" de Sarkozy

Mardi soir, ils n'étaient plus que deux. Malek Boutih venait d'appeler le secrétaire général de l'Élysée, Claude Guéant, pour l'informer qu'il renonçait au poste de "promoteur de la diversité" auprès de Nicolas Sarkozy. Ne restaient plus que Richard Descoings, patron de Sciences Po, et Yazid Sabeg. Finalement, en début de matinée, mercredi, le choix s'est porté sur le second. Président de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), Yazid Sabeg a donc été désigné commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances par Nicolas Sarkozy. Comme son nom l'indique, l'heureux élu dirigera une mission destinée à promouvoir la diversité. Il prendra officiellement ses fonctions vendredi, lors d'un conseil des ministres consacré au plan de relance, mais ne fera pas partie du gouvernement et ne disposera donc pas de sa propre administration.

Yazid Sabeg, enfant d'émigré devenu industriel, est l'auteur du tout récent Manifeste pour l'égalité réelle qui réclame "la mise en oeuvre effective d'un programme minimal pour l'égalité réelle" et un Grenelle de la diversité, invoquant l'élan créé par la victoire de Barack Obama à la présidentielle américaine. Ce texte a été signé par des responsables politiques de droite comme de gauche et a reçu le soutien de Carla Bruni-Sarkozy. Surfant sur cette vague, le patron des députés UMP Jean-François Copé - qui a signé le texte - lui avait proposé d'animer un groupe de travail sur la thématique "Identité française et diversité" au sein de son club politique generationfrance.fr.


Aîné de treize enfants, Yazid Sabeg est né en 1950 dans les Aurès. Son père, gendarme en Algérie, a débarqué à Lille en 1952. Président du conseil d'administration de CS (ex-Compagnie des signaux) et fondateur de la Convention laïque pour l'égalité des droits et la participation des musulmans de France, il s'est fait depuis plusieurs années le chantre de la discrimination positive. Sabeg est notamment à l'origine de la Charte de la diversité, lancée en 2004 et signée par près de 250 entreprises, dont le but est de favoriser l'embauche et la promotion des "minorités visibles".


Plusieurs personnalités ont déjà été choisies pour incarner la diversité aux plus hautes fonctions de l'État. Récemment, Pierre N'Gahane , d'origine camerounaise, et Nacer Meddah , d'origine algérienne, ont été respectivement nommés préfets des Alpes-de-Haute-Provence et de Seine-Saint-Denis. Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade sont devenues des ministres emblématiques de la diversité, même si leur aura tend à s'estomper. Le "plan banlieues" de la secrétaire d'État à la Politique de la ville piétine, la ministre de la Justice et la secrétaire d'État aux Droits de l'homme semblent en délicatesse avec l'Élysée. En 2004, Nicolas Sarkozy avait brisé le tabou en nommant préfet du Jura Aïssa Dermouche, d'origine algérienne. Le thème de la discrimination positive est un thème cher au chef de l'État, notamment porté lors de sa campagne présidentielle

D'après un article Le Point.

dimanche 14 décembre 2008

Le Reggae de Nicolas, fait au Burkina Faso

Vous avez lachanson,
vous avez les paroles,
vous avez les images.

http://fr.youtube.com/watch?v=9k98p7wPABI

Rendez-vous au Karaoké du coin ou entre amis.

samedi 13 décembre 2008

Kwamé N'Krumah

Né le 18 Septembre 1909 à Nkroful, Francis Nkwame N’Krumah adhère très tôt au panafricanisme et se fait le disciple des politiciens Nigérian «» et du Sierra-Léonais, Wallace Johnson.

N’Krumah devient membre du West African National Party et le représentera en 1946 lorsque le Gouverneur de la colonie anglaise du moment met fin à l’apartheid qui régnait au Gold Coast (sans pour autant ratifier le document ). Le 4 Août 1947, le Gold Coast People’s Party et la Gold Coast National Party se fondent en un United Gold Coast Convention. N’Krumah décide de rejoindre ce groupe dirigé par Joseph Boakye Danquah (mort en prison en 1965) et ne tarde pas à en devenir une figure de proue. Mais la route de l’indépendance est pavée d’embûches. Le 28 Février 1948, des émeutes réprimées par la police feront 29 morts et 200 blessés. Accusé de collusion communiste, N’Krumah est arrêtéson parti l’abandonnera… Dépité, libéré, celui que son pays va bientôt surnommé le Rédempteur (Osagyefo) fonde le Convention People’s Party. Sa campagne est violente mais il gagne en partisans et menace les autorités du Gouverneur Sir Charles Aden-Clarke (nommé en 1949). N’Krumah est de nouveau arrêté le 10 Janvier 1950. Les victoires du CPP aux élections municipales puis aux législatives du 8 février 1951 oblige le Gouverneur à faire relâcher le leader du CPP et le 13 d’accepter qu’il soit nommer …. Premier Ministre malgré les fortes oppositions des chefferies Ashantis.


Mais les colons vont lui opposer un autre leader de taille en la personne du docteur Busia et Danquah qui en Mai 1952 fonde le Ghana Progress Party , majoritairement composés de membres de l’ethnie Ewé. De violences en violences lors des campagnes qui se succèdent, N’Krumah est néanmoins réélu avec 60% des voix.En Novembre 1955, une tentative d’assassinat par un ashanti (qui dénonce des dérives «» du leader du CPP) force N’Krumah six mois plus tard à dissoudre l’Assemblée et s’arroger certains pouvoirs. La colonie ne bouge pas. La politique du Home Rules va finalement accepter la proclamation vers 6h 30 du matin, de l’indépendance du pays en ce 6 Mars 1957. N’Krumah assure à lui tout seul la primature et présidence dès le 1 Juillet 1960, réduit les pouvoirs du Roy Ashantis au seuil du seul cérémonial, leur enlevant également le contrôle des mines (1959). Prempeh II est désavoué. Même ses partisans n’ont plus droit au chapitre. La Gold Coast prend alors le nom de Ghana en hommage à l’empire du même nom qui s’étendait du Moyen Sénégal à Tombouctou.


Sitôt les Anglais partis, ce sont les Soviétiques qui vont abreuver le pays de leurs conseils socialistes dont le Président nouvellement élu ne cache plus ses préférences. N’Krumah voit en le voisin ivoirien un ennemi qu’il faut abattre. Vieille rancœur qui ressurgit et dont nul n’a oublie la traîtrise de la famille de la Reine Pokou. Afin de déstabiliser le gouvernement Ivoirien, N’Krumah va aider militairement la monarchie Sanwi afin que celle-ci prenne son indépendance des Akans. L’échec sera cuisant, l’obsession des complots va alors hanter le Président Ghanéen.


En Août 1962, N’Krumah fait arrêter Adamafo, le Secrétaire-Général du CPP pour une obscure tentative de coup d’état. Le rédempteur ne supporte pas la contestation. En Janvier 1964, il fait approuver par referendum le système du parti unique avec 99% des voix et interdit l’opposition. Les manifestations contre le régime reprennent plus violentes les unes que les autres.Le 23-24 Février 1966, alors qu’il est en voyage en Chine, le Général Ankrah le destitue (financé par la CIA (service secrets américains) et soutenu en sous main par le Roy Ashanti Prempeh II qui espère de son côté une restauration complète de ses pouvoirs) et lui interdit de revenir au Ghana.

Taubira: "Il faut se battre comme Obama"

Tout d'abord, voici des vidéos intéressantes d'entretien de Madame Taubira

http://quebec.jrgblog.com/tag/taubira-christiane/


La députée de Guyane et membre du Parti radical de gauche Christiane Taubira se félicite de l'élection d'un Noir à la Maison blanche. Pour qu'un phénomène similaire arrive en France, elle appelle les minorités françaises à s'imposer dans le débat et les partis politiques, sans compter sur la discrimination positive.

Comment avez-vous accueilli l'élection de Barack Obama?J'avoue avoir été assez étonnée par l'engouement de la presse pour Obama lors des vingt-quatre dernières heures car je suivais le candidat depuis longtemps et le résultat me paraissait plié depuis quatre ou cinq mois déjà. Bien sûr, j'ai eu quelques frayeurs, je redoutais un"effet d'octobre" (october surprise, ndlr), un évènement inattendu qui aurait renversé les sondages. Je ne partage pas toutes ses idées, mais j'ai cru en lui. Pas parce qu'il est noir mais parce qu'il a une étoffe de chef d'Etat, loyal, responsable. Il ne se positionne pas au dessus des Américains, mais à leurs côtés. Il est dans une logique d'inclusion. Regardez d'ailleurs son discours de victoire: c'est extraordinaire! A peine élu, cet homme est parvenu à dire aux gens qu'ils allaient devoir surmonter un tas d'épreuves ensemble tout en se faisant acclamer. C'est un vrai leader.


"L'Amérique est entrée dans une ère post-raciale"


Comment un Noir a-t-il pu entrer à la Maison blanche?


Je crois qu'il s'est passé quelque chose aux Etats-Unis pendant la campagne. Obama a réussi à mettre en débat ce qu'on appelle là-bas la "racial issue", la question raciale. Il l'a abordée de front et avec courage dans son discours de Philadelphie -que j'ai relu dix fois et que je connais par coeur. Il n'a pas éludé les polémiques liées à sa couleur de peau, ni la discrimination positive et les rancoeurs qu'elle soulève aux Etats-Unis. Ceci a été possible car lui-même n'a pas de problème avec son identité métisse. Il n'a connu ni la ségrégation, ni le combat pour les droits civique. Il appartient à une autre génération. Je crois que cette campagne a permis à l'Amérique d'entrer dans une ère post-raciale.


Que manque-t-il pour que cela arrive en France?

Cela n'arrivera pas à la prochaine présidentielle. D'abord parce que la désignation des candidats se fait de façon moins populaire qu'aux Etats-Unis où de vraies primaires sont organisées dans chaque parti. Pour changer la donne, il faudrait que la France reconnaisse que la couleur de peau pose problème dans notre société. Le débat est plus difficile chez nous, car nos colonies étaient lointaines, alors que l'esclavage a eu lieu sur le sol américain. Il faut ensuite que les élites cessent de se reproduire entre elles en se donnant bonne conscience avec la discrimination positive, à laquelle je ne crois pas. Obama n'est pas arrivé à la Maison blanche grâce à un CV anonyme! Comme lui, il faut se battre pour se faire accepter, entrer dans les partis, imposer le débat et refuser ensuite d'être affecté uniquement à des postes comme la lutte contre les discriminations. Il n'y a pas en France de mécanismes irrépressibles qui empêchent de réussir. L'égalité doit être imposée par la société, elle n'est pas le fait du Prince.


Extrait du journal JDD.

mercredi 10 décembre 2008

Birmingham, l’autre exemple

La Grande Bretagne compte aujourd’hui près de 5 millions de personnes d’origine étrangère sur une population de 60 millions. Dans les années 80 des émeutes très violentes ont secoué les banlieues des grandes villes du pays. C’est à cette époque que le gouvernement a lancé une vraie politique d’intégration des minorités ethniques… Il y a 3 semaines des émeutes éclataient dans les quartiers nord de Birmingham, la seconde ville du Royaume Uni. Des voitures ont flambé, un homme a été tué pourtant ces incidents ne se sont pas transformés en guerre contre les autorités…Comment ont-elles géré cette crise ? Comment vit-on dans un des quartiers les plus défavorisés du Royaume Uni ?
>> Voir le reportage

Lozell Street






Lozell Street, au cœur des quartiers nord de Birmingham, bienvenue dans la banlieue version britannique… 80% d’immigrés : Jamaïcains, Pakistanais, Indiens ou encore Bangladeshis vivent ici. Dans Lozell Street, les églises côtoient les mosquées et les temples hindous… Dans ce melting-pot, tous sont égaux face à une chose au moins : la misère. Plus d’un quart des habitants est au chômage… A Lozell Street la lutte et le combat social ont toujours fait partie du décor…



Bini, porte-parole des noirs Bini est le porte-parole des noirs à Lozell,





il dirige un centre communautaire. Son combat a commencé à l’âge de 16 ans lorsqu’il a quitté sa Jamaïque natale et posé les pieds pour la première fois sur le sol britannique : « Ces photos montrent des manifestations contre la brutalité policière. Des brutalités auxquelles les Africains ont du faire face lorsqu’ils sont arrivés massivement dans ce pays dans les années 50.Le racisme conduit forcément les jeunes à des formes de protestation radicales. Les gens parlent de plus en plus du chômage dont ils sont victimes : la communauté africaine ici ou la communauté maghrébine en France. Des choses que personne ne veut prendre en compte. Il suffit alors d’un incident pour que les jeunes utilisent les seuls moyens qu’il leur reste pour dénoncer l’oppression et crier leur colère… »

Les incidents du 22 octobre





Le 22 octobre dernier encore, cette colère enflamait les esprits dans les rues de Lozell. Les affrontements entre bandes de jeunes asiatiques et Jamaïcains vont faire un mort… Voitures brûlées, vitrines de magasins fracassées, le quartier est au bord de l’explosion…Trois semaines plus tard il ne reste presque plus de traces de cette violence, la colère est retombée aussi vite qu’elle était montée. Ces images surtout sont inimaginables en France… Les bobbies, paisiblement et toujours sans armes ont repris leurs patrouilles en plein cœur du quartier. Là où la France, après 20 nuits d’émeutes, n’a toujours pas mis un terme à la violence, il aura fallu 2 nuits seulement à la police britannique pour ramener le calme.Bini : « Pour le moment la France a un plus gros problème que la Grande Bretagne, un problème vraiment plus sérieux. Nous avons eu des problème ici, mais ça a été réglé en une soirée, le lendemain tout est redevenu normal… »


Une police de quartier










Bini: « Les policiers ici sont tous du quartier. Nous les connaissons bien, ils font leur travail. La plupart des leaders de nos communautés les connaissent très bien, ils se rencontrent, organisent des réunions. Du coup ils arrivent facilement à stopper les problèmes »Nigel Smith est l’exemple même de cette police de proximité… 27 ans qu’il serre des mains dans ces rues… ici il connaît tout le monde. Du coup, même pendant les émeutes, à aucun moment la violence ne s’est focalisée sur la police… Le commissariat situé à quelques rues n’a pas été attaqué non plus…

Mohammed Hanif, un commissaire divisionnaire d’origine pakistanaise



Mohammed Hanif était en charge des opérations de police les deux soirs d’émeutes. Cet officier d’origine pakistanaise est très fier d’avoir évité le pire :« Je sais qu’en France cela fait plusieurs jours que ces évènements ont lieu. Je ne pense pas que cela pourrait arriver en Grande Bretagne parce que nous faisons de la police de proximité, nous sommes engagés avec la communauté.


Nous sommes dans les rues, nous parlons avec les gens des problèmes qui les préocuupent. Ensuite nous nous attaquons à ces problèmes… Nous avons des liens très étroits avec notre communauté. Dans mon secteur ici, en quelques heures je peux réunir une cinquantaine de représentants des communautés autour d’une table pour discuter des problèmes. C’est aussi utile pour le travail de lutte contre la criminalité. Nous nous sommes attaqués récemment à des réseaux de traffic de drogue. Et c’est la communauté qui nous a dit ou se déroulait le traffic. Le résultat c’est qu’en quelques jours nous avons démentelé le réseau et saisi trois ateliers clandestins. Les liens sont très étroits et c’est ainsi que la police doit faire : travailler avec la communauté plutôt que contre la communauté »

Ndo et la révolution


Pour autant tout n’est pas idyllique dans Lozell Street. Le chômage, la misère attisent les rivalités entre communautés. Tout cela et les évènements en France, peu de gens souhaitent les commenter sur le trottoir, trop d’oreilles indiscrètes… Quand on en parle c’est dans les arrières cour des maisons ouvrières. Ndo connaît des jeunes qui ont participé aux émeutes, il a même filmé l’après midi du 22 octobre, le jour ou les esprits se sont échauffés : « Il fallait que les gens le fassent. Il fallait le faire pour pousser les gens au pouvoir à changer les choses. C’est comme ça que débutent les révolutions. C’est une révolution, elle devait avoir lieu. Je pense que les émeutes en France c’est exactement ce qui aurait pu arriver ici. La seule différence c’est la façon dont elles ont été gérées… Quand vous êtes dans la rue et que vous voyez la police, les voitures et tout leur matériel cela exacerbe encore la colère, c’est alors que les affrontements démmarrent. C’est peut-être parce que la police a su se retirer au bon moment que nous n’avons pas eu, ici, les mêmes émeutes que vous en France. »

Représentation des minorités dans les instances de décision


Une autre explication peut-être c’est la représentation des minorités dans la vie associative et politique. Nous sommes dans une des salles de l’école du quartier. Ce soir se tient la première réunion de conciliation depuis les émeutes. A Birmingham 120 conseillers municipaux sont élus et représentent les quartiers. Les trois élus du district de Lozell ce sont eux : une jeune femme sikh, un jamaïcain et un Pakistanais…..Nous retrouvons l’un de ces conseiller chez lui. Mahmood Hussein a eu un parcours politique illustre en Grande Bretagne, sa jeunesse jusqu'à l’âge de 11 ans il l’a pourtant passée dans les montagnes du Cachemire pakistanais… « Je vais vous trouver une photo de ma jeunesse, si j’en trouve une… C’est moi, voici ma femme, ma sœur et ici mon petit frère… »Parti de rien pour arriver jusqu’aux plus haute responsabilités. Mahmood Hussain est resté pendant deux ans le maire de la deuxième ville de Grande Bretagne : « Je suis arrivé dans ce pays en 1962, je ne parlais pas un mot d’anglais… Plus tard je suis devenu le maire de cette grande cité… Quand je suis arrivé ici mon père s’est installé à Blackpool. Quand je suis arrivé à l’école j’étais le seul enfant asiatique de l’école. Les premiers jours ont été très difficiles pour moi parce que je ne connaissais pas la langue et ce n’était pas possible de communiquer ou de se mélanger avec les autres enfants.


Etre élu, c’est un succès de la politique britannique, mais c’est aussi un succès pour les minorités ethniques qui vivent dans ce pays. Nous n’avons pas que des maires élus, nous avons aussi des députés qui représentent les minorités au parlement. Le système politique dans ce pays donne a chacun la possibilité si l’on travaille et si l’on s’implique vraiment de s’élever dans la société.»

Des ghettos ethniques?



Sa politique d’intégration, la Grande Bretagne l’a développée à partir des années 80, lorsque partout dans les banlieues des grandes villes ont éclaté les émeutes les plus violentes de l’histoire du pays… Mais cette politique, peut-être la plus tolérante envers les minorités en Europe, a aussi connu quelques revers : elle a favorisé l’apparition de véritables ghettos ethniques et exclu chez certains, comme chez Moqapi, le sentiment d’appartenance à une nation : « Je me sens Africain. Je suis né en Angleterre mais je ne me vois pas comme un Britannique parce que le modèle britannique c’est blanc, anglo saxon et protestant. Je ne suis ni blanc, ni anglo saxon, ni protestant et je ne me reconnais donc pas dans ce que l’on appelle le modèle britannique, ou anglais… Ce que nous demandons, c’est comme tous les autres, notre place dans la société. Parce que nous travaillons ici, nous payons des impôts ici… Nous avons un centre pour notre communauté. Ça c’est à nous. Certains d’entre nous sont ici depuis 50 ans. Je ne sais pas quand ce sentiment d’appartenance à la Grande Bretagne descendra sur nous, mais je ne crois pas que cela arrivera un jour… Je ne me sens pas Britannique, je ne sais pas si mes enfants se sentent Britanniques et si leurs enfants se sentiront un jour Britanniques…. Mais je ne le pense pas… »

Extrait du site Arte: http://www.arte.tv/fr/cette-semaine/1036710,CmC=1096984.html

rf David Muntaner, Alexandre Rossignol et Hervé Thiry – ARTE GEIE - France 2005

Rencontre avec Adama Roamba


Rencontre avec un ami cinéaste du Burkina Faso. Ses œuvres évoquent les maux de la société africaine.
C’est un ami talentueux, très simple et sympathique. Voici les films d’Adama Romaba.







Humanitaire (2007), de Adama RoambaRencontre en ligne (2005), de Adama RoambaSource d'histoire (2003), de Adama RoambaMouka (2000), de Adama RoambaGarba (1999), de Adama Roamba
Voici un article sur le film Humanitaire.
http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_film&no=1956
Voici une vidéo et un article du Petit sergent.
http://www.dailymotion.com/video/x3jesw_petit-sergent-adama-roamba_creation
http://www.clapnoir.org/articles/article_2006/petit_sgt.html

mardi 9 décembre 2008

L'ascension, loin de la politique

Dans son bureau en open space (espace ouvert), au coeur d'une pépinière d'entreprises du 11e arrondissement à Paris, parmi une poignée de patrons trentenaires, style décontracté, ambiance écolo-libérale, Saïd Hammouche, 35 ans, porte costard-cravate sombre et sérieux. Le directeur général de Mozaïk RH, spécialiste du recrutement de diplômés "issus de la diversité", pur produit de la méritocratie scolaire de la Seine-Saint-Denis, parle avec les mots d'un chef d'entreprise pour évoquer la France et ses banlieues. Des "process" à élaborer pour améliorer l'insertion des jeunes des quartiers. Du "sourcing" nécessaire pour dénicher les talents du ghetto. Et de la nécessité de contourner le monde politique pour réussir à peser sur la société française. Loin, très loin, des partis traditionnels.


Pas de subvention quémandée à des élus locaux. Pas de local associatif obtenu après mille supplications. Pas de conseiller municipal qui supervise le conseil d'administration. "On ne se place plus en position de demandeurs, mais on veut être acteurs", explique le jeune patron, originaire de Bondy. Diplômé d'un master en conseil aux collectivités locales, il a ouvert son propre cabinet de recrutement avec l'idée d'agir avec les outils de l'entreprise. "La politique est fermée, dit-il. Les espaces qui restent sont les espaces professionnels. C'est là qu'on peut faire bouger la société."

Saïd Hammouche est à l'image des nouvelles élites issues des quartiers. Découragées par l'ostracisme des partis, elles ne font plus confiance à la politique. Fortement diplômées, elles privilégient la réussite professionnelle individuelle, le travail de réseau, pour faire carrière et se constituer une légitimité sociale incontestable. "On ne veut plus être dans l'assistanat, on ne veut plus du paternalisme, souligne El Yamine Soum, 29 ans, doctorant prometteur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Et comme on est nombreux à sortir de l'université avec des masters, ou plus, il y a de plus en plus de cadres, d'entrepreneurs, de chercheurs issus des quartiers." Ce que résume plus crûment un représentant de la nouvelle intelligentsia noire, trentenaire, surdiplômé et sans complexe - mais qui préfère rester anonyme : "Les jeunes issus des ZEP font de la finance pour rattraper en une génération le retard accumulé en dix générations. Et vous voulez leur parler des partis ? De figures comme Stéphane Pocrain (ex-porte-parole des Verts) ou Malek Boutih (ancien président de SOS-Racisme) ? On rigole."

Une élite qui a tiré profit de la "massification" de l'enseignement supérieur - même si l'absence de statistiques ethniques interdit d'avoir des données précises. Des juristes. Des ingénieurs. Des médecins. Des financiers. "Je suis bluffé par le nombre de bac + 4 ou de bac + 5 dans les quartiers", se réjouit Saïd Hammouche. Y compris, désormais, au sein des grandes écoles pionnières dans l'ouverture sociale. Comme Sciences Po, où les conventions ZEP mises en place en 2001 ont permis le recrutement de 477 élèves, dont 64 déjà diplômés ont commencé à peupler les étages de direction des cabinets d'audit, des sociétés de conseils et de la haute fonction publique. Un mouvement qui va encore s'amplifier : la promotion de 2001 ne comptait que 17 élèves issus des lycées de zone d'éducation prioritaire (ZEP), celle qui sortira en 2013 en compte 118. Ce n'est qu'un début, mais l'élite française commence à prendre des couleurs

Cette génération accumule les diplômes. Mais a aussi appris à se donner les mêmes armes relationnelles que le reste de l'élite. Zoubeir Ben Terdeyet, 30 ans, consultant en finance islamique, a découvert l'importance des réseaux à l'université, puis au moment d'entrer sur le marché du travail. "J'étais à Paris-X, à Nanterre. Les jeunes de banlieue allaient plutôt à l'UNEF pour militer sur le prix des tickets au restaurant universitaire. Ou pour faire une action sur le conflit palestinien. Les autres, ceux de Neuilly-sur-Seine, je les voyais aller à la Junior entreprise et réussir à se faire facturer des prestations par des entreprises." Lui obtient un master en finance. Brillant mais insuffisant. Faute de contacts dans le milieu de l'entreprise, il ne trouve pas d'emploi - comme cinq autres étudiants issus de banlieue.

Zoubeir Ben Terdeyet s'est donc lancé dans la construction d'un réseau pour les jeunes diplômés des quartiers. En 2004, il fonde avec quelques amis les Dérouilleurs - en référence au livre d'Azouz Begag sur les jeunes des quartiers qui réussissent à ne pas "rouiller" au pied des immeubles. La volonté de s'entraider. Le désir de faire "comme les autres", comme les anciens d'HEC, les anciens de Polytechnique, ceux d'Henri-IV, les Arméniens, les juifs, les Bretons... : partager les contacts et les relations. "Le marché parallèle de l'emploi est essentiel. Et l'information est ce qui vaut le plus cher", explique-t-il.

Informel, farouchement apolitique, le réseau a connu un développement exponentiel par le seul bouche-à-oreille. Grâce à une liste de diffusion créée sur Yahoo! et des soirées "networking", il compte aujourd'hui près de 4 000 membres, dont beaucoup de bac + 4 et bac + 5, avec des antennes à Strasbourg, Marseille, mais aussi à l'étranger. Les membres se signalent mutuellement les stages et les postes disponibles dans leur entreprise ou leur entourage. Ou font passer des CV de "frères" et de "soeurs" en recherche d'emploi. "On ne voulait pas de la génération de la marche des Beurs, complètement désillusionnée, raconte Zoubeir Ben Terdeyet, attablé devant son ordinateur portable, dans un bar branché du 9e arrondissement de Paris, où se retrouvent les Dérouilleurs. On voulait repartir sur des forces vives, motivées, avec un objectif de court terme - trouver des stages, des CDD, des CDI - et un objectif plus lointain - avoir un réseau pour nos enfants."

La politique n'est pas oubliée, mais ces nouvelles élites mettent en place une stratégie du détour. Gagner le respect professionnel. Conquérir sa légitimité pour ne pas se contenter des strapontins offerts par les politiciens. Et, plus que tout, ne jamais être dépendant d'un appareil. "On veut être libres et conserver notre liberté d'expression", explique Hamza Bouaziz, 30 ans, originaire de la cité Salvadore-Allende à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), titulaire d'un master en finance et économiste dans une filiale de BNP Paribas. "Avant de faire de la politique, il faut être fort économiquement. Il faut pouvoir être indépendant. Sinon vous finissez comme les types qui ont commencé par être payés par SOS-Racisme, puis par le PS", dit Zoubeir Ben Terdeyet.

Les modèles de ces élites ne sont pas des hommes politiques - hormis l'étoile Barack Obama, bien sûr. La figure qui revient est celle de Mehdi Dazi, 42 ans, inconnu du grand public, diplômé de Sciences Po, passé par les Etats-Unis pour contourner le plafond de verre français, devenu directeur général d'un fonds d'investissement des Emirats arabes unis, aujourd'hui membre du conseil de surveillance de Vivendi grâce à son parcours international. Un itinéraire qui fait rêver les jeunes diplômés. Et qui valide, à leurs yeux, l'idée que la stratégie du détour peut être la bonne pour conquérir la France. Comme lui, un nombre important de diplômés ont choisi de s'exiler dans les pays du Golfe. Au point que les Dérouilleurs ont créé à Dubaï une antenne d'une cinquantaine de membres

Ces élites maghrébines et noires en sont persuadées : si un Obama français devait apparaître, il ne sortirait pas du ventre d'un appareil politique. Mais plutôt du secteur privé. "Les entreprises sont plus avancées sur la question de la diversité. Constituer des équipes de clones ne les intéresse plus", relève Salah Houyem, Dérouilleur de 35 ans, titulaire d'un MBA, aujourd'hui cadre dans les ressources humaines au sein d'Areva. "Les partis ? Tout le monde sait que ça ne se passe plus là. Ils sont hors contexte, hors société", note l'écrivain Karim Amellal. A 30 ans, ce maître de conférences n'est pas, précisément, sur un strapontin : il dirige le mastère "affaires publiques" de Sciences Po, le coeur du réacteur de la prestigieuse institution.

Originaire de la cité sensible de la Fauconnière, à Gonesse (Val-d'Oise), Karim Amellal est passé par l'Institut d'études politiques de Paris avant la mise en place des conventions ZEP. Avec le collectif Qui fait la France ?, qui réunit des écrivains comme Faïza Guène, Mohamed Rezane ou Dembo Goumane, il défend une autre façon de faire de la politique. Hors des appareils. Pour ne parler que du fond, que du contenu, pour gommer les questions de carrière trop présentes dans les écuries partisanes. "Nous, on écrit, on va dans les lycées, on fait des conférences, on anime des ateliers d'écriture. C'est beaucoup plus utile", affirme-t-il.

Une prudence, un éloignement du politique, qui témoignent, paradoxalement, d'une forme avancée d'intégration. Une forme de banalisation, au fond, des élites maghrébines et noires. C'est la thèse que défend Marwan Mohamed, 33 ans, un rescapé de l'échec scolaire, qui avait arrêté l'école au CAP, avant de reprendre ses études jusqu'au doctorat, aujourd'hui une des figures montantes de la sociologie française. "Cette mise à distance de la politique peut être comprise comme une forme de conformisme social, dit-il. Les élites des quartiers font comme le reste des classes moyennes et bourgeoises : elles se placent aussi dans une logique individualiste." La résilience sociale et la "notabilisation", piliers de la carrière des futurs Obama français ? Réponse d'ici à dix ou vingt ans...

D'après un article Le Monde

lundi 8 décembre 2008

La France, mauvaise élève des droits de l'homme, selon Hessel

Un demandeur d'asile soudanais sur le port de Calais. Selon Stéphane Hessel, co-auteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, la France ne peut se targuer d'être exemplaire en matière de droits humains vu sa façon de traiter les étrangers et les prisonniers


La France ne peut se targuer d'être exemplaire en matière de droits humains vu sa façon de traiter les étrangers et les prisonniers, estime Stéphane Hessel, co-auteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme.


A 91 printemps, le vieil homme aux manières délicieuses est l'invité permanent des cérémonies du 60e anniversaire de ce texte adopté le 10 décembre 1948 à Paris par les 48 pays membres de la toute jeune Organisation des Nations unies.


Ces cérémonies culmineront mercredi par une soirée au palais de Chaillot, où Stéphane Hessel lira le préambule de la Déclaration avant la projection de 22 courts-métrages réalisés par autant de metteurs en scène du monde entier.


Le diplomate avait à peine 30 ans lorsqu'il entama les travaux conduisant à la rédaction du texte.



Soixante ans plus tard, malgré son grand âge, l'ancien résistant, qui joua aussi les médiateurs pour les sans-papiers, veut rester un aiguillon pour les autorités françaises.


"Non, elle ne doit en aucun cas s'enorgueillir, c'est toujours mauvais", répond-il quand Reuters lui demande si la France de 2008 peut se vanter d'être encore la patrie des droits de l'homme.


"Elle doit constater que si elle fait certaines choses correctement il y en a d'autres qu'elle ne fait pas bien. Notamment, elle s'occupe mal de ses immigrés, elle s'occupe mal de ses sans-papiers et elle ne s'occupe pas bien du tout non plus des questions d'asile", ajoute-t-il.


En avril 2007, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour la façon dont elle renvoie les étrangers menacés dans leur pays d'origine.


Plus récemment, elle lui a demandé de surseoir à un projet de charter franco-britannique visant à rapatrier vers leur pays des Afghans en situation irrégulière.
"PAS À LA HAUTEUR"


"La France ne fait pas ce qu'elle devrait car elle a une tradition de pays d'immigration et de pays d'asile. Elle n'est pas la hauteur", regrette Stéphane Hessel.


Le diplomate se fait aussi le garant des droits des détenus à l'heure où les prisons françaises enferment plus de 64.000 personnes, un chiffre record qui s'ajoute à la multiplication des suicides de détenus -- plus d'une centaine cette année.


Le 16 octobre, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné Paris pour manquement à son obligation de "protéger le droit à la vie d'un détenu".


"Nous devrions faire un effort pour avoir des prisons un peu moins inhumaines", insiste Stéphane Hessel.


Distillées de débats en réunions, ses mises en garde visent d'abord l'Elysée.
"Tous mes messages, je les adresse toujours au président de la République française, quel que soit son nom", dit-il.


"Le nom actuel est celui d'un fils d'immigré. Donc s'il y a quelqu'un qui devrait savoir qu'il faut considérer l'immigration non comme un fléau mais comme une richesse, c'est bien notre président actuel Nicolas Sarkozy", fait-il remarquer à propos du chef de l'Etat, qui est d'origine hongroise.


Aux yeux de Stéphane Hessel, l'actuel président "pourrait en faire beaucoup plus", tout comme la secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme, Rama Yade. "Elle est très sympathique. Mais fait-elle assez pour promouvoir les droits de l'homme dans le monde ? Je n'en suis pas absolument convaincu."


Malgré ses critiques, Stéphane Hessel ne veut pas se laisser aller au pessimisme et relève les avancées obtenues en 60 ans sur le chemin des libertés.


"Il y a eu la fin du stalinisme, la fin de la colonisation, la fin de l'apartheid, nous avons un Tribunal pénal international pour juger les tyrans : bien sûr que les choses progressent", lançait-il le mois dernier lors d'un débat en présence de l'écrivain bangladaise Taslima Nasreen, chassée de son pays pour avoir critiqué les extrémistes islamistes.


Mais quand on lui demande si les Jeux olympiques de cet été à Pékin ont permis d'améliorer les droits humains en Chine, sa réponse est sans appel : "Ça n'a servi à rien."

D'après l'article Le Point

vendredi 5 décembre 2008

Nécrologie : Vishwanath Pratap Singh, ex-premier ministre indien



Vishwanath Pratap Singh, ex-premier ministre (1989-1990) qui bouleversa la politique indienne en s'engageant en faveur de la promotion des basses castes, est décédé jeudi 27 novembre à New Delhi. Il était âgé de 77 ans.


Son règne fut bref - onze mois à peine - mais il marque dans l'histoire contemporaine indienne un tournant : l'émergence de la caste dans le champ politique à la faveur de l'approfondissement des dispositifs de discrimination positive, boîte de Pandore ayant libéré de violents antagonismes autour du partage de la richesse. Figure morale mais habile politicien, il fut aussi le "tombeur" de Rajiv Gandhi, fils d'Indira Gandhi, inaugurant ainsi l'affaiblissement durable du Parti du Congrès - matrice de l'Inde indépendante - dans la politique nationale.


V. P. Singh était né le 25 juin 1931 à Allahabad, ville de l'Uttar Pradesh (Inde du Nord). Issu d'une famille de propriétaires fonciers, il fut adopté à l'âge de 5 ans - avec l'assentiment de ses parents - par Bahadur Ram Gopal Singh, maharaja de la petite principauté de Bandar (Uttar Pradesh) qui n'avait pas d'enfants. Son enfance princière fut toutefois courte : son père adoptif mourut alors qu'il avait 11 ans. Etudiant en droit à Allahabad puis en physique à Pune (Maharashtra), il embrassa très tôt la cause de la justice sociale, donnant lui-même l'exemple en cédant à des paysans sans terres des portions de son domaine foncier.


Repéré par le Parti du Congrès, il s'engagea sous la bannière du parti : élu en 1969 à l'assemblée locale de l'Uttar Pradesh, il entra au Parlement fédéral deux ans plus tard. En 1974, Indira Gandhi, alors premier ministre, en fit son ministre adjoint du commerce. En 1980, après le retour au pouvoir de Mme Gandhi, il accéda au poste de premier ministre (chief minister) de l'Etat de l'Uttar Pradesh. C'est à ce moment qu'il se forgea une réputation d'intégrité morale qui l'imposerait au premier plan de la politique nationale. Il s'était fixé l'objectif de réduire les foyers de banditisme qui infestent sa région ; il démissionne avec éclat, prenant acte de son échec après l'assassinat de son propre frère - un juge - par un gang.


Cet acte de courage fait sensation. Rajiv Gandhi, élu premier ministre en 1984 après l'assassinat de sa mère Indira, le nomme ministre des finances. V. P. Singh s'illustre comme le précurseur du démantèlement des privilèges bureaucratiques. Il engage surtout une lutte résolue contre l'évasion fiscale, n'hésitant pas à poursuivre des hommes d'affaires proches du Parti du Congrès. Rajiv Gandhi s'en inquiète et l'éloigne de ce terrain sensible en lui confiant en 1987 le portefeuille de la défense. Mal lui en prend. Car V. P. Singh découvre à ce poste l'univers trouble des pots-de-vin sur les achats d'armement. Il dispose d'informations mettant clairement en cause Rajiv Gandhi, qui l'évince du cabinet.


Dès lors, V. P. Singh bascule dans l'opposition. Il parvient à fédérer un vaste front anti-Congrès et gagne les élections de 1989. Nommé premier ministre, il apaise la révolte des Sikhs du Pendjab, retire les troupes indiennes que Rajiv Gandhi avait envoyées au Sri Lanka, mais nomme au Cachemire un gouverneur dont la raideur répressive enflamme cet Etat à majorité musulmane.


Mais c'est surtout sur le terrain de la politique sociale qu'il cherche à innover. A la surprise générale, il sort des placards un rapport vieux de neuf ans qui recommandait la généralisation de la discrimination positive, jusque-là réservée aux intouchables et aux tribus.


Désormais, les castes intermédiaires, appelées en Inde "Other Backward Casts" (OBC), pourront bénéficier de quotas d'emplois dans l'administration. Les passions s'embrasent. Les étudiants brahmanes s'insurgent. V. P. Singh ne pourra faire aboutir sa réforme. Son cabinet chute fin 1990 : les nationalistes hindous lui ont retiré leur soutien, car il s'est opposé à leur croisade antimusulmane.


D'après un article le Monde