vendredi 28 novembre 2008

Pour le BTP, l'immigration n'est pas un problème mais une solution

Pourquoi cette omerta des grands patrons du BTP sur l'immigration alors que ce secteur est celui qui compte la plus grande proportion d'étrangers, en situation régulière ou non? Nicolas Jounin, enseignant de sociologie à l'université Paris VIII répond à cette question dans la dernière livraison de la revue Agone consacré à l'immigration, ou plus précisément à "L'invention de l'immigration". Dans le cadre d'une enquête sur les travailleurs du bâtiment de la région parisienne, ce chercheur s'était fait embaucher comme intérimaire sur des chantiers de construction. Un livre en est sorti: Chantier interdit au public (La Découverte, 2008). Pour Libération, Nicolas Jounin explique comment il en est arrivé à la conclusion que, pour les entreprises du bâtiment à la recherche de main d'œuvre bon marché, l'immigration n'est pas un problème mais une solution.

Interview :

Selon vous, le BTP a un double discours sur l'immigration. D'un côté, ce secteur emploie un pourcentage élevé d'immigrés, mais les patrons refusent de reconnaître que cette main d'œuvre leur est utile car bon marché et continuent de prétendre vouloir attirer des Français ?

Le discours de la Fédération française du bâtiment (FFB) esquive effectivement la question de l'immigration. Son ancien président déclarait ainsi en 2002 : "Avant qu'on parle d'immigration, j'aimerais bien qu'on remette au travail ces Français qui sont actuellement accrochés au système des indemnités de chômage." C'est curieux, alors que le BTP reste le secteur qui a le plus recours à des travailleurs immigrés. Le cas particulier des sans-papiers est éclairant ; lorsque, récemment, nombre d'entre eux se sont mis en grève dans plusieurs secteurs de l'économie, et alors que le patronat de l'hôtellerie-restauration s'est prononcé à un moment pour une régularisation massive, la FFB est toujours restée silencieuse.

Quant aux grandes entreprises (Bouygues, Vinci, Eiffage...), lorsqu'elles ont été interpellées par des sans-papiers, elles se sont souvent défendues en disant qu'elles n'employaient pas de sans-papiers. De fait, elles les font employer par des sous-traitants ou des agences d'intérim, ce qui permet d'externaliser l'illégalité et de diluer leur responsabilité.

Depuis une quarantaine d'années, les patrons du BTP se plaignent d'une pénurie de main d'œuvre, pourquoi mettez-vous en doute cette affirmation ?

Justement parce qu'elle est ancienne. Un tel problème, diagnostiqué depuis si longtemps, devrait avoir trouvé sa solution. D'autant que pour des partisans d'une économie de marché, comme le sont bien souvent les patrons et leurs représentants, la solution est toute trouvée : si l'offre (de travail) est inférieure à la demande (des entreprises), il suffit d'augmenter le prix (le salaire), ou bien encore d'améliorer les conditions de travail. Or, dès lors qu'on pousse les responsables de la gestion du personnel sur ce terrain, ils disent qu'ils ne peuvent accorder plus que ce qu'ils offrent. S'ils peuvent se permettre de ne pas accorder plus, c'est parce qu'en réalité, comme disait l'un d'entre eux, "on trouvera toujours les bras pour faire le travail." Bien souvent, la pénurie de main-d'œuvre est l'argument pour sous-traiter ou recourir à l'intérim : puisque l'entreprise ne trouve pas de personnel, se justifie-t-elle, elle doit passer par des employeurs intermédiaires. Mais le raisonnement est faible : pourquoi ces intermédiaires trouvent-ils cette main-d'œuvre qui ferait défaut à leurs donneurs d'ordre, alors même que les conditions qu'ils proposent sont généralement moins bonnes ?

Les contrôles de police accrus sur les chantiers peuvent-ils faire changer cette situation? Et dans quel sens ?

Il est encore tôt pour le dire. Mais il est certain que pour un sans-papiers, il est aujourd'hui plus difficile et plus risqué qu'au début des années 2000 de travailler dans le bâtiment. Du point de vue des entreprises, on peut imaginer des conséquences contradictoires : d'un côté, une plus grande difficulté à trouver des ouvriers pour les postes les plus pénibles et dévalorisés habituellement dévolus aux sans-papiers ; mais de l'autre, une main-d'œuvre irrégulière qui, quand elle trouve à s'employer, est encore plus vulnérable et donc susceptible de se montrer docile. Il semble en tout cas que ces contrôles, avec d'autres facteurs, amènent les entreprises à chercher d'autres sources de main-d'œuvre : la prestation de services internationale (1) - qui n'avait pas besoin de la directive Bolkestein pour se développer très vite -, qui fournit elle aussi une main-d'œuvre bon marché et captive.

D'après le site Hexagone

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