mercredi 10 décembre 2008

Birmingham, l’autre exemple

La Grande Bretagne compte aujourd’hui près de 5 millions de personnes d’origine étrangère sur une population de 60 millions. Dans les années 80 des émeutes très violentes ont secoué les banlieues des grandes villes du pays. C’est à cette époque que le gouvernement a lancé une vraie politique d’intégration des minorités ethniques… Il y a 3 semaines des émeutes éclataient dans les quartiers nord de Birmingham, la seconde ville du Royaume Uni. Des voitures ont flambé, un homme a été tué pourtant ces incidents ne se sont pas transformés en guerre contre les autorités…Comment ont-elles géré cette crise ? Comment vit-on dans un des quartiers les plus défavorisés du Royaume Uni ?
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Lozell Street






Lozell Street, au cœur des quartiers nord de Birmingham, bienvenue dans la banlieue version britannique… 80% d’immigrés : Jamaïcains, Pakistanais, Indiens ou encore Bangladeshis vivent ici. Dans Lozell Street, les églises côtoient les mosquées et les temples hindous… Dans ce melting-pot, tous sont égaux face à une chose au moins : la misère. Plus d’un quart des habitants est au chômage… A Lozell Street la lutte et le combat social ont toujours fait partie du décor…



Bini, porte-parole des noirs Bini est le porte-parole des noirs à Lozell,





il dirige un centre communautaire. Son combat a commencé à l’âge de 16 ans lorsqu’il a quitté sa Jamaïque natale et posé les pieds pour la première fois sur le sol britannique : « Ces photos montrent des manifestations contre la brutalité policière. Des brutalités auxquelles les Africains ont du faire face lorsqu’ils sont arrivés massivement dans ce pays dans les années 50.Le racisme conduit forcément les jeunes à des formes de protestation radicales. Les gens parlent de plus en plus du chômage dont ils sont victimes : la communauté africaine ici ou la communauté maghrébine en France. Des choses que personne ne veut prendre en compte. Il suffit alors d’un incident pour que les jeunes utilisent les seuls moyens qu’il leur reste pour dénoncer l’oppression et crier leur colère… »

Les incidents du 22 octobre





Le 22 octobre dernier encore, cette colère enflamait les esprits dans les rues de Lozell. Les affrontements entre bandes de jeunes asiatiques et Jamaïcains vont faire un mort… Voitures brûlées, vitrines de magasins fracassées, le quartier est au bord de l’explosion…Trois semaines plus tard il ne reste presque plus de traces de cette violence, la colère est retombée aussi vite qu’elle était montée. Ces images surtout sont inimaginables en France… Les bobbies, paisiblement et toujours sans armes ont repris leurs patrouilles en plein cœur du quartier. Là où la France, après 20 nuits d’émeutes, n’a toujours pas mis un terme à la violence, il aura fallu 2 nuits seulement à la police britannique pour ramener le calme.Bini : « Pour le moment la France a un plus gros problème que la Grande Bretagne, un problème vraiment plus sérieux. Nous avons eu des problème ici, mais ça a été réglé en une soirée, le lendemain tout est redevenu normal… »


Une police de quartier










Bini: « Les policiers ici sont tous du quartier. Nous les connaissons bien, ils font leur travail. La plupart des leaders de nos communautés les connaissent très bien, ils se rencontrent, organisent des réunions. Du coup ils arrivent facilement à stopper les problèmes »Nigel Smith est l’exemple même de cette police de proximité… 27 ans qu’il serre des mains dans ces rues… ici il connaît tout le monde. Du coup, même pendant les émeutes, à aucun moment la violence ne s’est focalisée sur la police… Le commissariat situé à quelques rues n’a pas été attaqué non plus…

Mohammed Hanif, un commissaire divisionnaire d’origine pakistanaise



Mohammed Hanif était en charge des opérations de police les deux soirs d’émeutes. Cet officier d’origine pakistanaise est très fier d’avoir évité le pire :« Je sais qu’en France cela fait plusieurs jours que ces évènements ont lieu. Je ne pense pas que cela pourrait arriver en Grande Bretagne parce que nous faisons de la police de proximité, nous sommes engagés avec la communauté.


Nous sommes dans les rues, nous parlons avec les gens des problèmes qui les préocuupent. Ensuite nous nous attaquons à ces problèmes… Nous avons des liens très étroits avec notre communauté. Dans mon secteur ici, en quelques heures je peux réunir une cinquantaine de représentants des communautés autour d’une table pour discuter des problèmes. C’est aussi utile pour le travail de lutte contre la criminalité. Nous nous sommes attaqués récemment à des réseaux de traffic de drogue. Et c’est la communauté qui nous a dit ou se déroulait le traffic. Le résultat c’est qu’en quelques jours nous avons démentelé le réseau et saisi trois ateliers clandestins. Les liens sont très étroits et c’est ainsi que la police doit faire : travailler avec la communauté plutôt que contre la communauté »

Ndo et la révolution


Pour autant tout n’est pas idyllique dans Lozell Street. Le chômage, la misère attisent les rivalités entre communautés. Tout cela et les évènements en France, peu de gens souhaitent les commenter sur le trottoir, trop d’oreilles indiscrètes… Quand on en parle c’est dans les arrières cour des maisons ouvrières. Ndo connaît des jeunes qui ont participé aux émeutes, il a même filmé l’après midi du 22 octobre, le jour ou les esprits se sont échauffés : « Il fallait que les gens le fassent. Il fallait le faire pour pousser les gens au pouvoir à changer les choses. C’est comme ça que débutent les révolutions. C’est une révolution, elle devait avoir lieu. Je pense que les émeutes en France c’est exactement ce qui aurait pu arriver ici. La seule différence c’est la façon dont elles ont été gérées… Quand vous êtes dans la rue et que vous voyez la police, les voitures et tout leur matériel cela exacerbe encore la colère, c’est alors que les affrontements démmarrent. C’est peut-être parce que la police a su se retirer au bon moment que nous n’avons pas eu, ici, les mêmes émeutes que vous en France. »

Représentation des minorités dans les instances de décision


Une autre explication peut-être c’est la représentation des minorités dans la vie associative et politique. Nous sommes dans une des salles de l’école du quartier. Ce soir se tient la première réunion de conciliation depuis les émeutes. A Birmingham 120 conseillers municipaux sont élus et représentent les quartiers. Les trois élus du district de Lozell ce sont eux : une jeune femme sikh, un jamaïcain et un Pakistanais…..Nous retrouvons l’un de ces conseiller chez lui. Mahmood Hussein a eu un parcours politique illustre en Grande Bretagne, sa jeunesse jusqu'à l’âge de 11 ans il l’a pourtant passée dans les montagnes du Cachemire pakistanais… « Je vais vous trouver une photo de ma jeunesse, si j’en trouve une… C’est moi, voici ma femme, ma sœur et ici mon petit frère… »Parti de rien pour arriver jusqu’aux plus haute responsabilités. Mahmood Hussain est resté pendant deux ans le maire de la deuxième ville de Grande Bretagne : « Je suis arrivé dans ce pays en 1962, je ne parlais pas un mot d’anglais… Plus tard je suis devenu le maire de cette grande cité… Quand je suis arrivé ici mon père s’est installé à Blackpool. Quand je suis arrivé à l’école j’étais le seul enfant asiatique de l’école. Les premiers jours ont été très difficiles pour moi parce que je ne connaissais pas la langue et ce n’était pas possible de communiquer ou de se mélanger avec les autres enfants.


Etre élu, c’est un succès de la politique britannique, mais c’est aussi un succès pour les minorités ethniques qui vivent dans ce pays. Nous n’avons pas que des maires élus, nous avons aussi des députés qui représentent les minorités au parlement. Le système politique dans ce pays donne a chacun la possibilité si l’on travaille et si l’on s’implique vraiment de s’élever dans la société.»

Des ghettos ethniques?



Sa politique d’intégration, la Grande Bretagne l’a développée à partir des années 80, lorsque partout dans les banlieues des grandes villes ont éclaté les émeutes les plus violentes de l’histoire du pays… Mais cette politique, peut-être la plus tolérante envers les minorités en Europe, a aussi connu quelques revers : elle a favorisé l’apparition de véritables ghettos ethniques et exclu chez certains, comme chez Moqapi, le sentiment d’appartenance à une nation : « Je me sens Africain. Je suis né en Angleterre mais je ne me vois pas comme un Britannique parce que le modèle britannique c’est blanc, anglo saxon et protestant. Je ne suis ni blanc, ni anglo saxon, ni protestant et je ne me reconnais donc pas dans ce que l’on appelle le modèle britannique, ou anglais… Ce que nous demandons, c’est comme tous les autres, notre place dans la société. Parce que nous travaillons ici, nous payons des impôts ici… Nous avons un centre pour notre communauté. Ça c’est à nous. Certains d’entre nous sont ici depuis 50 ans. Je ne sais pas quand ce sentiment d’appartenance à la Grande Bretagne descendra sur nous, mais je ne crois pas que cela arrivera un jour… Je ne me sens pas Britannique, je ne sais pas si mes enfants se sentent Britanniques et si leurs enfants se sentiront un jour Britanniques…. Mais je ne le pense pas… »

Extrait du site Arte: http://www.arte.tv/fr/cette-semaine/1036710,CmC=1096984.html

rf David Muntaner, Alexandre Rossignol et Hervé Thiry – ARTE GEIE - France 2005

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