Vishwanath Pratap Singh, ex-premier ministre (1989-1990) qui bouleversa la politique indienne en s'engageant en faveur de la promotion des basses castes, est décédé jeudi 27 novembre à New Delhi. Il était âgé de 77 ans.
Son règne fut bref - onze mois à peine - mais il marque dans l'histoire contemporaine indienne un tournant : l'émergence de la caste dans le champ politique à la faveur de l'approfondissement des dispositifs de discrimination positive, boîte de Pandore ayant libéré de violents antagonismes autour du partage de la richesse. Figure morale mais habile politicien, il fut aussi le "tombeur" de Rajiv Gandhi, fils d'Indira Gandhi, inaugurant ainsi l'affaiblissement durable du Parti du Congrès - matrice de l'Inde indépendante - dans la politique nationale.
V. P. Singh était né le 25 juin 1931 à Allahabad, ville de l'Uttar Pradesh (Inde du Nord). Issu d'une famille de propriétaires fonciers, il fut adopté à l'âge de 5 ans - avec l'assentiment de ses parents - par Bahadur Ram Gopal Singh, maharaja de la petite principauté de Bandar (Uttar Pradesh) qui n'avait pas d'enfants. Son enfance princière fut toutefois courte : son père adoptif mourut alors qu'il avait 11 ans. Etudiant en droit à Allahabad puis en physique à Pune (Maharashtra), il embrassa très tôt la cause de la justice sociale, donnant lui-même l'exemple en cédant à des paysans sans terres des portions de son domaine foncier.
Repéré par le Parti du Congrès, il s'engagea sous la bannière du parti : élu en 1969 à l'assemblée locale de l'Uttar Pradesh, il entra au Parlement fédéral deux ans plus tard. En 1974, Indira Gandhi, alors premier ministre, en fit son ministre adjoint du commerce. En 1980, après le retour au pouvoir de Mme Gandhi, il accéda au poste de premier ministre (chief minister) de l'Etat de l'Uttar Pradesh. C'est à ce moment qu'il se forgea une réputation d'intégrité morale qui l'imposerait au premier plan de la politique nationale. Il s'était fixé l'objectif de réduire les foyers de banditisme qui infestent sa région ; il démissionne avec éclat, prenant acte de son échec après l'assassinat de son propre frère - un juge - par un gang.
Cet acte de courage fait sensation. Rajiv Gandhi, élu premier ministre en 1984 après l'assassinat de sa mère Indira, le nomme ministre des finances. V. P. Singh s'illustre comme le précurseur du démantèlement des privilèges bureaucratiques. Il engage surtout une lutte résolue contre l'évasion fiscale, n'hésitant pas à poursuivre des hommes d'affaires proches du Parti du Congrès. Rajiv Gandhi s'en inquiète et l'éloigne de ce terrain sensible en lui confiant en 1987 le portefeuille de la défense. Mal lui en prend. Car V. P. Singh découvre à ce poste l'univers trouble des pots-de-vin sur les achats d'armement. Il dispose d'informations mettant clairement en cause Rajiv Gandhi, qui l'évince du cabinet.
Dès lors, V. P. Singh bascule dans l'opposition. Il parvient à fédérer un vaste front anti-Congrès et gagne les élections de 1989. Nommé premier ministre, il apaise la révolte des Sikhs du Pendjab, retire les troupes indiennes que Rajiv Gandhi avait envoyées au Sri Lanka, mais nomme au Cachemire un gouverneur dont la raideur répressive enflamme cet Etat à majorité musulmane.
Mais c'est surtout sur le terrain de la politique sociale qu'il cherche à innover. A la surprise générale, il sort des placards un rapport vieux de neuf ans qui recommandait la généralisation de la discrimination positive, jusque-là réservée aux intouchables et aux tribus.
Désormais, les castes intermédiaires, appelées en Inde "Other Backward Casts" (OBC), pourront bénéficier de quotas d'emplois dans l'administration. Les passions s'embrasent. Les étudiants brahmanes s'insurgent. V. P. Singh ne pourra faire aboutir sa réforme. Son cabinet chute fin 1990 : les nationalistes hindous lui ont retiré leur soutien, car il s'est opposé à leur croisade antimusulmane.
D'après un article le Monde
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